samedi 6 novembre 2010

Rôle du médecin généraliste en matière de prévention des conduites addictives de l’adolescent

Plan

1- Introduction et définitions

2- Epidémiologie

3- Cas clinique

4- Facteurs de risques et complications

5- Prévention

6- Conclusion

1- Introduction et définitions

L’expérimentation de plus en plus précoce, l’augmentation des consommations régulières font que la consommation de substances potentiellement addictives chez les jeunes est un véritable problème de santé publique.

Dans ces circonstances, le médecin généraliste est l'interlocuteur de première ligne face à la population adolescente, comment peut-il agir dans les différentes phases de prévention de ces conduites addictives ?

Quelques définitions

Expérimentation: au moins une fois dans la vie

Usage actuel: au moins une fois dans les 30 derniers jours

Usage régulier: au moins 10 fois dans les 30 derniers jours

Usage problématique : indicateur de l'observatoire européen des drogues et des toxicomanies qui couvre l'usage de drogues par injection ou l'usage régulier /de longue durée d'héroïne, de cocaïne et/ou d'amphétamines

Ivresses répétées : fait de déclarer avoir été ivre au moins 3 fois dans l'année.

2- Epidémiologie

Avant de détailler l’épidémiologie des conduites addictives chez les jeunes, il est nécessaire de reprendre quelques définitions. On parle d’expérimentation lorsqu’une substance a été consommée au moins une fois dans la vie de l’individu, d’usage actuel lorsqu’elle a été consommée au moins une fois dans le mois précédent, d’usage régulier quand elle a été consommée au moins 10 fois dans le mois précédent, et d’usage quotidien quand elle est consommée tous les jours.

Les chiffres qui suivent sont issus des études ESCAPAD (Enquête sur la Santé et les Consommations lors de l’Appel de Préparation A la Défense) de 2000 à 2005, des études ESPAD (European School Survey on Alcohol and Other Drugs : enquête transversale en milieu scolaire menée concomitamment dans 30 pays européens sur la base d’un questionnaire commun centré sur les usages, attitudes et opinions relatifs aux substances psycho actives.) et sont regroupés dans le dernier bulletin de l’InVS du 25 mars 2008.

- Expérimentation

On constate que l’expérimentation de l’alcool débute beaucoup plus précocement que celle du tabac et du cannabis (entre 60 et 70% d’expérimentation à 12 ans pour l’alcool, contre 20% environs pour le tabac, et 2% pour le cannabis). A 16 ans, 87% des jeunes ont déjà expérimenté l’alcool, 69% le tabac et 38% le cannabis.

Expérimentation de l’alcool, du tabac et du cannabis chez les garçons de 12 à 16 ans.

- Usage régulier/usage quotidien

Selon l’étude ESCAPAD 2003, 40% des jeunes de 17-18 ans consomment quotidiennement du tabac, 21% des garçons consomment régulièrement de l’alcool, contre 7.5% des filles (la consommation quotidienne étant de l’ordre de 1 à 3% dans les 2 sexes), et près de 20% des garçons (7 %) des filles consomment de manière régulière du cannabis. Ces toxiques sont parfois consommés simultanément. Le tabac est le produit psychoactif dont les usages sont les moins sexuellement différenciés, contrairement à l’alcool et surtout au cannabis qui sont plus fréquemment consommés chez les garçons.

Fréquence de l’usage régulier chez les jeunes de 17/18 ans en 2003

Fréquence de l’usage quotidien de tabac, d’alcool, de psychotropes et de cannabis chez les jeunes de 17/18 ans en 2003

On peut par ailleurs noter que la précocité de l’expérimentation influe sur l’intensité de l’usage à 17 ans.

Pourcentage d’usagers quotidiens à 17 ans pour une expérimentation à 12 ou 15 ans

- Disparités géographiques

Il existe de grandes disparités régionales en fonction des toxiques. Par exemple, la consommation tabagique est très importante chez les jeunes de l’ouest de la France (Bretagne, Basse-Normandie, Poitou Charente), elle est moindre dans la région Rhône Alpe.

- Evolution

Depuis les années 1990, on note une baisse du tabagisme quotidien, alors que l’âge de la première expérimentation est passé de 13.7 ans en 2000 à 13.4 en 2004. La consommation d’alcool reste au même niveau qu’en 2000, mais la fréquence des ivresses alcooliques a connu une hausse très nette entre 2003 et 2005, bien que l’âge moyen à la première ivresse n’ait pas varié sur la période (15,1 ans). Pour le cannabis, après l’augmentation observée entre 2000 et 2002, la tendance est désormais plutôt à la stagnation, voire à la légère baisse de presque tous les niveaux d’usage considérés, à l’exception de l’usage quotidien qui a progressé entre 2003 et 2005 (de 3,9 % à 5,2 %). Par ailleurs, l’âge moyen d’expérimentation a légèrement diminué depuis 2000 (de 15,3 à 15,1 ans).

Ces chiffres, bien que pouvant sembler n’être qu’un catalogue, sont important à suivre, afin de pouvoir adapter la prévention en fonction des données épidémiologiques.

3- Cas Clinique

Un jeune homme de 18 ans, informaticien, consulte pour des troubles du sommeil : demande de benzodiazépines

Asthénie, stress, troubles de la concentration, consommation quotidienne de cannabis, addiction aux jeux vidéos

Dépression ?/Rôle du cannabis ?

Comment le prendre en charge ?

Voyons quelques pistes pour résoudre ce cas :

4- Facteurs de risques et complications

Facteurs de risque

Bas niveau socio-économique :

Problèmes d’emploi ou problèmes scolaires :

Dépression, problèmes psychologiques : toutes les pathologies psychiatriques sont des facteurs de risque à la consommation de toxiques

Mauvaises relations avec les parents : l’adolescent en conflit familial est plus à risque du fait du manque de communication sur les risques encourus

Recherche de sensations : à l’adolescence, l’individu se construit une personnalité fondée sur de nouvelles expériences

Accidents et traumatismes : ils peuvent entraîner des douleurs physiques et psychiques que l’individu tente de combattre par la consommation de toxiques

Consommation d’un autre toxique : la consommation d’un toxique quel qu’il soit pousse toujours à consommer d’autres substances encore plus à risque

Complications

Dépendance :

Isolement social : consommer des toxiques

Baisse des intérêts : le cannabis, la cocaïne, l’héroïne agissent sur des récepteurs du système nerveux et entraînent diminution des intérêts, diminution de la vigilance, dépression, …

Echec scolaire : du fait de la dépendance, de la dépression et de l’isolement social, il existe un absentéisme scolaire et une diminution de la capacité à se concentrer et à apprendre, ce qui entraîne un échec scolaire

Complications somatiques propres à chacune des substances : un certain nombre de substances provoquent des infarctus du myocarde, des détresses respiratoires, et troubles neurologiques

Problèmes judiciaires et criminalité : l’adolescent peut se retrouver au cœur d’un véritable trafic de drogues et être confronté par conséquent à la justice

5- Prévention

Formation du médecin généraliste

Le médecin généraliste doit avoir des connaissances approfondies concernant la construction de la personnalité de l'enfant, les troubles psychoaffectifs (troubles de l'humeur, troubles anxieux, troubles des conduites et hyperactivité avec déficit de l'attention, plaintes psychosomatiques...) et les facteurs qui les favorisent. Il doit être capable de dépister les problèmes psychologiques de l'adolescent lors d'une consultation pour un motif anodin (vaccinations, certificat sportif, infection ORL ...).

Le médecin généraliste a un rôle dans la prévention primaire, secondaire et tertiaire.

· La prévention primaire vise à éviter le début de la consommation ou le passage à des consommations posant problème.

· La prévention secondaire vise à détecter les problèmes suffisamment tôt pour intervenir précocement dans le cursus pathologique.

· La prévention tertiaire vise à limiter les dégâts quand la pathologie est déjà exprimée et installée, ce qui semble être la majorité des cas actuellement.

Prévention primaire

Celle-ci vise à éviter le début des consommations ou le passage à des consommations posant problème. Son but est donc de dépister les populations à risque avant le passage à l’acte.

Le médecin généraliste peut donc rechercher chez ses jeunes patients les facteurs de risques vus précédemment : Bas niveau socio-économique, problème d’emploi ou problème scolaire, dépression ou problème psychologique, recherche de sensations fortes, mauvaise relation avec les parents, accidents, traumatismes et consommations d’un autre toxique.

Pour se faire il possède comme outils :

La connaissance globale du patient, de ses antécédents, de son insertion socioprofessionnelle et familiale ainsi que de sa personnalité. Ceci peut lui permettre de dépister des facteurs de risques environnementaux.

La continuité du soin, et une relation de confiance avec le patient peut également amener celui-ci à parler de ce qui lui pose problème de lui-même ce qu’il ne ferait pas forcément avec un autre interlocuteur, elle permet également de dépister une rupture d’avec l’état antérieur, signe d’une possible dépression.

Cela afin de réaliser une prise en charge précoce :

- Sur l’axe relationnel : Maintien de la relation de soin

- Sur l’axe psycho-social : Bilan social, évaluation de l’estime de soi, prise en charge par d’autres intervenants

- Sur l’axe médical :

A ce stade surtout basée sur l’information des risques des consommations de toxiques adaptée à ce que le jeune est capable d’entendre.

Prise en charge d’une pathologie psychiatrique préexistante.

Souvent le dépistage se fait chez nous simplement en posant des questions, une autre approche, plus fréquente dans certains pays étrangers (Nouvelle-Zélande) consiste à proposer un questionnaire standardisé s’intéressant à la santé du patient, ce questionnaire peut être proposé lors de la consultation ou être disponible dans la salle d’attente.

Le questionnaire est un outil de dialogue dénué de la connotation moralisatrice pouvant être ressentie lors de l’interrogatoire oral.

Exemple de questionnaire distribué :

(Réalisé par le service de pédopsychiatrie de l’hôpital Xavier Bichat et des généralistes enseignants)

Ce questionnaire est confidentiel, il est destiné à une étude sur les relations adolescents - médecins généralistes. Merci de bien vouloir le remplir en cochant la case correspondante à la réponse : oui ou non, et le remettre à votre médecin avec toute liberté d’en discuter ou non.
Sexe : Masculin - Féminin (rayer la mention inutile)
Date de naissance :

1

je pratique une activité sportive régulière (plus de 2 heures par semaine)

OUI

NON

2

j’attache toujours ma ceinture de sécurité en voiture ou je mets toujours mon casque en deux-roues.

OUI

NON

3

je fume des cigarettes, tous les jours ou presque

OUI

NON

4

je saute souvent un repas

OUI

NON

5

je suis satisfait(e) de ma taille

OUI

NON

6

je suis satisfait(e) de mon poids

OUI

NON

7

il existe une bonne communication entre mes parents et moi

OUI

NON

8

je me sens à l’aise avec les jeunes de mon âge

OUI

NON

9

je préfère la solitude

OUI

NON

10

l’enseignement que je reçois m’intéresse

OUI

NON

11

il m’arrive de manquer des cours sans raison valable

OUI

NON

12

je sais quel métier j’aimerais exercer plus tard

OUI

NON

13

je connais des personnes qui se droguent

OUI

NON

14

j’ai souvent du mal à m’endormir

OUI

NON

15

je me sens bien dans ma peau

OUI

NON

16

je suis assez souvent triste

OUI

NON

17

il y a des personnes autour de moi (parents, adultes) avec qui je peux parler de sexualité.

OUI

NON

18

je connais les différents moyens de contraception (pilule, préservatif.)

OUI

NON

19

je sais que mes vaccinations sont à jour

OUI

NON

20

j’ai des problèmes dont j’ai du mal à parler

OUI

NON

J’ai rempli ce questionnaire :
O dans la salle d’attente
O pendant la consultation

L’utilisation de cette grille a été réalisée chez une quarantaine de médecins et a concerné 347 adolescents ; les conclusions en sont très positives : le questionnaire a été très bien accepté par les adolescents, il a favorisé le dialogue et l’approche de sujets difficiles, il a permis de déceler dans 15 à 20 % des cas des problèmes relationnels ou éducatifs et constitue donc un bon outil de dialogue et de dépistage. Cependant ces questionnaires préétablis ne sont jamais utilisés dans quasiment 70 % des cas.

Le médecin généraliste est donc en première ligne pour réaliser cette prévention primaire grâce à la connaissance globale qu’il a du patient, la relation de confiance qu’il entretient avec lui mais aussi par l’utilisation de questionnaires standardisés (même si elle est rare) qui peuvent être un bon outil d’ébauche de dialogue

Le dépistage de ces facteurs de risque débouchera alors sur la mise en place une prise en charge précoce avant même l’apparition d’une conduite addictive.

La prévention secondaire

Celle-ci vise à détecter les problèmes suffisamment tôt pour intervenir précocement dans le cursus pathologique c'est-à-dire d'éviter le passage du comportement d'usage à celui d'abus et de dépendance.

Après avoir pris connaissance de la consommation d'un quelconque toxique, le médecin généraliste doit évaluer la situation pour pouvoir proposer une prise en charge la plus adaptée.

Pour cela il doit évaluer :

- la consommation (l'ancienneté, la fréquence, la quantité, isolée ou poly consommation, le but ...),

- le sujet (personnalité +++),

- l'environnement (familial +++),

- le retentissement de la consommation sur la vie du patient (troubles de la mémoire, de l'attention, les problèmes judiciaires ...).

Le médecin tentera donc de modifier les comportements de consommation de l'adolescent (en essayant de diminuer sa consommation, en le sensibilisant sur les risques de nuisance sur l'apprentissage scolaire ...), de diminuer les problèmes psycho-sociaux, ceci du fait de son rôle dans la prise en charge globale du patient. En effet, le médecin généraliste a une place privilégiée dans le système de soins pour pouvoir coordonner la prise en charge psycho-sociale. Il a pour rôle d'orienter le patient vers une assistante sociale, vers un centre spécialisé de soins aux toxicomanes (CSST) ou chez l'adolescent scolarisé, vers l'assistante scolaire. Il peut également l'orienter vers des associations, notamment l'association SOS drogue international, première association française de lutte contre les toxicomanies et d'aide aux usagers de drogues, et principalement financée par l'Etat et l'assurance maladie. De même, il pourra confier l'adolescent à un psychiatre,ou il pourra assurer une psychothérapie de soutien lui-même.

De plus, si le médecin généraliste est le médecin de toute la famille, il pourra également être le médiateur entre le patient et sa famille pour que la communication puisse reprendre, si celle-ci avait été « perturbée ».

Prévention tertiaire

Celle-ci vise à limiter les dégâts lorsque la pathologie est déjà installée, à savoir dans le cas présent le dépistage des complications de ces conduites addictives.

Deux axes se dégagent donc dans cette prévention tertiaire :

Une prévention des complications psycho-sociale : Souvent jouant le rôle de cercle vicieux par rapports aux facteurs de risques qui ont pu être retrouvés au niveau de la prévention primaire, en effet on retrouvera notamment dans ces complications l’isolement social, l’échec scolaire, la baisse d’estime de soi, l’apparition ou l’aggravation de difficultés familiales et le développement ou l’aggravation de certains troubles psychiatriques en particulier la dépression.

Là encore le rôle de médiateur du médecin généraliste est central pour une prise en charge globale et multidisciplinaire entre le patient, la famille et les différents acteurs de la démarche de soins.

La prévention et le traitement des complications somatiques dépendant de chaque substance, le sujet est trop vaste pour être développé ici. Il est surtout important de retenir que le généraliste participe à la surveillance de ces complications par la poursuite d’un suivi régulier et grâce à l’actualisation de ses connaissances dans ce domaine.

C’est donc le suivi régulier du patient et le rôle de relais entre la famille le patient les travailleurs sociaux, médicaux et paramédicaux qui permettront de réaliser dépistage et traitement des complications dans les conditions les meilleures possibles.

6- Conclusion

Comme nous l'avons vu, l’importance du médecin généraliste dans la prévention des addictions chez les ados est prépondérante puisqu’il jouit d’une connaissance de l'individu dans sa globalité, qu’il est l’acteur quasi exclusif de la prise en charge des ados du moins en ce qui concerne leur prise en charge initiale. Enfin il est le relais de tous les intervenants dans les différents temps du suivi et grâce à la surveillance régulière qu’il met en place.

Retour sur le cas clinique : Ainsi pour le cas du jeune homme vu précédemment, le rôle du médecin généraliste se centrera sur le dépistage de facteur de risques de conduites addictives, à l’aide de l’interrogatoire, de sa connaissance de ce patient dans sa globalité mais également de l’utilisation possible de questionnaire standardisé : ici l’asthénie, le stress, les troubles de la concentration, l’addiction aux jeux vidéos apparaissent déjà comme des facteurs de risques et pousseront le médecin à amorcer un dialogue de façon à stopper l’engrenage. Par la suite la prise en charge, s’il existe une consommation avérée (notamment de cannabis voire par la suite de benzodiazépines) recherchera à préciser les spécificités de la consommation afin de tenter de modifier ces comportements et en cas d’échec il orientera le patient vers d’autres intervenants. Enfin si le patient poursuit des conduites addictives le médecin organisera le suivi pour prévenir complications somatiques et psycho-sociales toujours en relation avec les autres acteurs de ce suivi.

Bibliographie

Epidémiologie des addictions chez les jeunes français

http://www.cirddbourgogne.fr/uploaded-files/file/actualites/power_point_jm_costes1.pdf

Prévention et prise en charge de l’usage de cannabis par le médecin généraliste

http://resmed.univ-rennes1.fr/mgrennes/article.php3?id_article=47

Alcool : Le péril jeune

http://www.doctissimo.fr/html/dossiers/alcool/alcool-jeunes.htm

Comprendre le risque alcool : La prévention

http://www.anpaa.asso.fr/html-fr/milieu/f_milieu_prevention.html

Dépister les troubles de la santé mentale chez les jeunes

http://www.docteurdoc.fr/article.php3?id_article=57

Prévention du tabagisme et des phénomènes d’addiction des jeunes

http://www.adesr.asso.fr/projets2007/PDF/tabac/projet.pdf

Toxicomanie chez les jeunes

http://www.sante-univ-mrs.fr/article.php3?id_article=18

Consommation de tabac chez les jeunes

http://www.leparisien.fr/home/info/vivremieux/articles/BAISSE-DE-LA-CONSOMMATION-DU-TABAC-CHEZ-LES-JEUNES_297118606

Drogues, chiffres clés

http://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/dce.pdf

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