samedi 6 novembre 2010

l'intergénération

LE MAINTIEN DU LIEN SOCIAL

CHEZ LA PERSONNE AGEE

L’EXEMPLE DE

L’INTERGÉNÉRATION


SOMMAIRE

Introduction

I. LA VIEILLESSE COMME PROBLÈME SOCIAL

A. Définition de la vieillesse et stigmatisation

B. Economie de la santé et personnes âgées

C. Politique et action sociale sur la vieillesse

D. La désaffiliation sociale

II. LES MÉCANISMES DE LA DÉSAFFILIATION

A. L’isolement social et la solitude

B. La dépendance

C. La suppression du lien social et l’effet de mort suggéré

III. REDONNER UN ROLE SOCIAL A LA PERSONNE AGEE

A. Réformes politiques et économiques

B. Le rôle de grands-parents : échanges et transmission

C. Développement de l’animation sociale chez les personnes âgées dépendantes

IV. L’INTERGÉNÉRATION

A. Quelques exemples

B. Objectifs et intérêts

C. Difficultés de l’intergénération


L’INTERGNRATION DANS LE DVELOPPEMENT

DU LIEN SOCIAL CHEZ LA PERSONNE AGE

Actuellement, l’espérance de vie a considérablement augmenté, le nombre de personnes âgées a donc fait de même. Pourtant, nous nous devons toujours de leur donner des conditions de vie décentes. Pour cela de multiples solutions ont été trouvées : les maisons de retraites, de qualité inégale et en nombre encore insuffisant, l’accueil de la personne âgée par sa famille, ce qui s’avère de nos jours de plus en plus difficile pour différentes raisons, financière, manque d’espace, de temps, ou à cause de dépendances trop profondes. Le maintien à domicile peut souvent être rendu possible grâce à l’assistance des infirmières et des aides ménagères, c’est de plus la solution que préfèrent beaucoup de personnes âgées. Au delà de cela, on ne prend pas assez en compte la souffrance des anciens face à la solitude amenée par la disparition progressive de leur rôle social (1). En quoi la vieillesse est-elle un problème social ? Comment appréhender la solitude des personnes âgées ? Comment leur redonner un rôle ? En quoi les projets d’inter-génération peuvent-ils être une solution ?

I. LA VIEILLESSE COMME PROBLÈME SOCIAL

A. Définition de la vieillesse et stigmatisation

D’après le Petit Robert, la vieillesse est la dernière période de la vie normale qui succède à la maturité, caractérisée par un affaiblissement global des fonctions physiologiques et des facultés mentales et par des modifications atrophiques des tissus et des organes (2).

Cependant, la vieillesse est avant tout quelque chose de relatif. C’est le registre social qui définit la personne âgée, dont l’avènement est marqué par la retraite. Pourtant, on ne qualifie plus quelqu’un de 60 ans de personne âgée mais de « jeune retraité ». C’est donc une terminologie sociale qui n’a pas de réalité humaine (3)

Mais ce n’est pas la vieillesse elle même qui fait peur à la société, mais les représentations qui en sont faites.

Souvent connotée très négativement, elle n’est plus un problème social mais un fléau, image véhiculée par les médias dans des intérêts politiques peu objectifs.

La vieillesse est de ce fait très souvent stigmatisée, les personnes âgées étant ballottées entre l’obligation d’accepter leur âge et celui de rester jeune.

D’après Erving GOFFMAN qui a le premier développé le concept de stigmatisation, il existe trois catégories de stigmates : les stigmates corporels, les stigmates tenant à la personnalité de l’individu et à son passé et les stigmates tribaux (4). Les personnes âgées correspondent plus à la première catégorie.

Il existe aussi une stigmatisation par les mots : « vieux, vioque, vieillard, sénile », ce qui amène à utiliser des euphémismes comme « grand-père, grand-mère, senior ou master », qui découlent plus d’un rôle social. Malheureusement, selon le contexte, même ces expressions peuvent avoir une connotation péjorative.

B. Economie de la santé et personnes âgées

De la naissance à la mort, l’individu coûte à deux moments : lors de sa naissance et pendant les jours qui suivent, et les mois ou semaines de sa fin de vie. Le vieillissement intervient pour 10 % des hausses de coût de la santé en France.

Même si partout dans le monde, les organismes nationaux de remboursement des soins sont en déficit, l’économie de la santé reste une source de développement et d’emploi.

D’après Robert LUCAS, « on forme la croissance en formant ses enfants », il a en effet montré l’importance des comportements intergénérationnels dans la croissance économique (5).

La ressource que sont les personnes âgées en matière d’économie est bien souvent sous-estimée :

· rôle financier envers leur ascendant ou descendant plus fragile,

· puissance économique avec les fonds de pensions : ils possèdent 60 % de la richesse française,

· rôle de consommateurs dans l’économie nationale,

· rôle dans le moteur économique des établissements de soin, les groupes privés comme MEDIPEP n’hésitant pas à dire que « la dépendance est un marché porteur » (6).

En outre, les activités de proximité dans le maintien de la personne âgée à domicile constitue un potentiel d’emploi immense car la demande de services, considérable, n’est jamais comblée (7). Derrière cette demande centrée sur les besoins matériels (soins, aides ménagères), il existe aussi un véritable appel au secours face à la solitude. C’est donc une économie du rapport humain qui se met progressivement en place.

C. Politique et action sociale sur la vieillesse (8)

Les politiques sociales en direction des personnes âgées se situent entre l’aide sociale et la sécurité sociale. Elles s’appliquent à un groupe social sensé être homogène mais posant en réalité une gamme de problèmes bien différents, allant de la dépendance à la réforme des retraites.

Le cadre juridique concernant la personne âgée est constitué surtout des lois :

· du 30 juin 1975 relatives aux instituions sociales et médico-sociales,

· du 10 juillet 1989 relative à l’accueil familial,

· du 24 janvier 1997 instituant une prestation d’autonomie pour les personnes âgées dépendantes.

Ces lois régissent :

· les prestations : pension de retraite, minimum vieillesse, prestation spécifique de dépendance, aide sociale légale pour l’aide à domicile ou l’accueil en établissement, aide sociale facultative à l’initiative des C.C.A.S. ou autres institutions :

· les services d’aide à domicile : aides ménagères, gardes à domicile, soins à domicile, portage de repas…

· les établissements : services de soins de longue durée, sections médicalisées, d’hébergement : foyer-logement, maison d’accueil pour personnes âgées dépendantes, établissements à but lucratif non conventionnés.

· Les services alternatifs : accueil familial, accueil de jour…

Il existe aujourd’hui un nouveau groupe social : les jeunes retraités investis dans la vie associative, pivot des solidarités familiales. La vieillesse est donc divisée en deux générations aux capacités et besoins bien différents : le troisième âge et le quatrième âge qui désigne les grands vieillards.

L’année 1999 a été l’année de la vieillesse et de la solidarité entre générations. Elle a montré à quel point il était nécessaire de rendre une place aux personnes âgées, de valoriser leur rôle dans la transmission de la mémoire et de développer les relations intergénérationnelles intra et extra familiales.

Les premières maisons de retraites ont été créées dans les années 70. L’action s’est ensuite centrée dans les années 80 sur la proximité, le développement de petites structures pour favoriser le maintien des échanges et de la vie sociale.

Actuellement, s’amorce une réflexion globale sur la qualité de vie des personnes âgées ; cependant la majorité des maisons de retraite restent constituées de grosses structures, l’humanisation étant encore en cours.

Le passage d’une politique des revenus à une politique de la vieillesse est demandé par de nombreuses associations. Elle reste un objectif lointain face à la nécessité première de réforme des retraites, enjeu électoral tel qu’elle n’a pas encore été attaquée de front.

D. La désaffiliation sociale

Robert MURPHY, a développé le concept de stigmatisation à travers le handicap et a montré que le phénomène le plus marquant chez le stigmatisé est la perte d’estime de soi et dans le cas du handicap, ce qui se retrouve aussi dans la vieillesse, la perte d’autonomie qui aboutit à une dépersonnalisation et à une absence de projet à long terme (9).

Cette stigmatisation appuie le phénomène de désaffiliation qui, contrairement à l’exclusion (qui est statique), induit un passé « affilié », intégré à la société. Il apparaît insidieusement et peut survenir au moment de la retraite ou du décès d’un proche. Ce processus peut aboutir à l’exclusion de la société pour l’individu, qui se trouve déjà en difficulté à un âge avancé de la vie, avec d’autres pertes qui sont du domaine de la santé, de l’apparence, de la qualité des sens. L’individu participe à sa propre exclusion, aidé par les structures de la société à laquelle il appartient (10).

La désaffiliation des aînés est apparue au moment où l’état a tendu à remplacer la famille dans la prise en charge des problèmes individuels, en raison du déficit de la solidarité inter-générationnelle. En effet, dans la plupart des cas, les personnes ne sont pas exclues mais fragilisées, déstabilisées.

Quels sont les mécanismes de cette désaffiliation ?

II. LES MÉCANISMES DE LA DÉSAFFILIATION

A. L’isolement social et la solitude

L’isolement social se mesure par le nombre de contacts sociaux et se définit comme une séparation avec le milieu se traduisant par un nombre très restreint de relations satisfaisantes et valorisantes (11). Cet isolement est accentué par l’individualisme et différentes composantes de notre société comme l’éclatement familial dû aux nouveaux modes de vie, aux divorces et l’éloignement familial lié à la mobilité des travailleurs. Cependant, certaines personnes aiment s’isoler, elles n’ont pas besoin de passer du temps en compagnie des autres, elles sont isolées sans souffrir de solitude.

La solitude sociale désigne une situation mal ressentie du fait de la quantité insuffisante de rapports sociaux, de la qualité de ces derniers, ou des deux. Il ne s’agit pas d’un choix personnel. La solitude est notamment caractérisée par un nombre de relations perçu comme insuffisant ou par une qualité insatisfaisante des relations existantes (12).

Les personnes âgés sont soumises à différents types de solitudes, toutes caractérisées par une qualité moindre du lien social :

1) Les solitudes du rejet :

· la solitude de la perte : altération de la pratique du lien social,

· la solitude de l’exil : altération du rapport à la structure du lien social,

· la solitude de la marge : transformation du rapport à la structure du lien social.

2) Les solitudes du retrait :

· La solitude défensive : organisation d’une modification de la pratique du lien social,

· La solitude incorporée : organisation d’une modification du rapport à la structure du lien social (découle sur le long terme de la solitude défensive).

Les solitudes du rejet mettent l’accent sur les ruptures de conformité (quelque chose qui allait bien ne va plus bien). Celles du retrait le mettent sur la recherche de divergence (quelque chose ne va pas bien et il s’agit d’y remédier par un changement) (13). Dans le cas des personnes âgées, c’est surtout la conséquence du repli et de la baisse d’estime de soi due à la stigmatisation.

Les anciens souffrent de la solitude mais ne le disent pas. D’après un rapport anglais, 90 % des personnes interrogées ont affirmé que la solitude était un problème associé au vieillissement, alors que seulement 32 % ont avoué en souffrir personnellement (14).

B. La dépendance

La dépendance est une relation contraignante plus ou moins acceptée avec un être, un objet, un groupe ou une institution, réels ou irréels, et qui relève de la satisfaction d’un besoin (15).

Cependant, on oublie facilement les autres dépendances de la vie, quelque soit l’âge, pour arriver à l’équation « vieillissement = dépendance », surtout apparentée au handicap et à la perte d’autonomie. Pourtant, d’après DURKHEIM, la dépendance c’est tout ce qui est source de solidarité et qui sépare l’homme de l’égoïsme (16). Elle ne se réduit donc pas à ces aspects négatifs.

Malheureusement, la dépendance n’est pas un problème pour les enfants par exemple, car les parents et grands-parents ont pour rôle de satisfaire à leur besoin de tendresse constructive, mais elle est un problème pour les personnes âgées qui ont maintenant peu de possibilités de recours à leurs parents. Il reste alors la solution des professionnels à l’apport affectif beaucoup plus pauvre.

Le secteur professionnel en gérontologie se caractérise par une prise en charge segmentée des personnes âgées et d’autre part par une faiblesse généralisée des

moyens. Dans ces conditions, on comprend que la lutte contre l’isolement ne soit pas considérée comme une priorité. Ce qui est dommage puisque sans politique préventive, la société « fabrique » de la dépendance qui, en fin de compte, s’avère bien plus coûteuse, financièrement mais aussi humainement (17).

C. La suppression du lien social et l’effet de mort suggéré

Une des idées sur lesquelles MAUSS a travaillé est l’idée de mort sur l’individu véhiculé par le collectif : d’après des recherches sur la mort vaudou, des médecins avaient constaté que dans différentes régions du Monde (Australie, Nouvelle Zélande, Polynésie), quelqu’un qui transgressait un interdit majeur, ce qui dans sa société était sensé entraîner la mort, était vu par les médecins se décomposer et mourir en quelques jours. CANON explique ce phénomène par l’effet de persuasion qui désorganise complètement le système nerveux autonome (18).

On retrouve un phénomène comparable dans le syndrome de glissement : quand un individu se laisse mourir et y parvient souvent en cinq jours, c’est une forme grave de dépression spécifique du grand âge. Ce syndrome est marqué par une détérioration rapide de l’état général déclenchée par une affection aiguë médicale, chirurgicale ou psychique et qui évolue vers la mort en quelques jours, un mois maximum en l’absence de prise en charge adaptée.

Dans le premier cas, c’est la transgression et dans le deuxième la désafférentation qui fait sentir à l’individu qu’il est en dehors de tout lien social, qu’il n’a plus sa place et donc qu’il doit mourir.

La solitude et la dépendance sont donc les mécanismes d’une désafférentation sociale de la personne âgée qui peut avoir pour issue extrême la volonté de mort par le suicide (près de 45 % des suicides concernent les plus de 55 ans, dont près de la moitié les plus de 75 ans) (19), ou le syndrome de glissement.

Quels sont les rôles que la personne âgée pourrait trouver ou retrouver afin de conserver une place dans la société ?

III. REDONNER UN ROLE SOCIAL A LA PERSONNE AGEE

A. Réformes politiques et économiques

Pour éviter le risque d’appauvrissement des retraités, il faut conserver le système de retraites par répartition. « La réforme des régimes de retraites est un des points essentiels à l’ordre du jour de l’agenda européen. En proposant de faire évoluer les systèmes publics de retraites d’un système par répartition vers un système par capitalisation dominé par les fonds de pensions, ce type de « modernisation » expose le niveau de vie des futurs retraités aux risques considérables inhérents aux marchés financiers ». « Ce n’est pas par nécessité que le système public s’efface devant un régime privé mais en raison des intérêts et du lobbying des gros investisseurs institutionnels chargés d’investir sur les marchés financiers des milliards de cotisations privées. C’est la recherche du profit et non le problème du vieillissement de la population qui incite à la modernisation des systèmes de retraites » (20). Il ne faut pas en outre se laisser aller à tirer vers le bas les revenus des personnes âgées en utilisant l’augmentation de leur pouvoir d’achat comme argument.

Il est nécessaire de lutter pour dédramatiser l’effet du vieillissement sur la population et diminuer ainsi la stigmatisation des personnes âgées. C’est ce qu’a fait l’O.M.S. en 1999 en diffusant un message visant à détruire les préjugés qui sont :

· Toutes les personnes âgées se ressemblent.

· La plupart des personnes âgées vivent dans les pays industrialisés.

· Les hommes et les femmes vieillissent de la même manière.

· Les personnes âgées n’ont rien à apporter.

· Les personnes âgées sont un fardeau économique (21).

Il faut promouvoir l’organisation des anciens pour qu’ils soient efficacement représentés par des groupes de pressions comme c’est le cas en Grande-Bretagne. Là-bas, des associations comme « Les Panthères grises » sont plus combatives : pour revendiquer le fait que les personnes âgées sont des citoyens comme les autres, elles ont menacé de faire démissionner tous les retraités responsables d’associations (22).

Les différentes réformes proposées viseraient surtout à diminuer la stigmatisation des personnes âgées pour fonder les bases d’une meilleure intégration de cette classe d’âge dans la société. Il est aussi nécessaire de définir les rôles sociaux à développer pour que les anciens se sentent plus utiles.

B. Le rôle de grand-parent : échanges et transmission

La grand-parentalité est un rôle important des personnes âgées, longtemps négligé. La position sociale des grands-parents varie dans l’histoire et selon les cultures. Dans de nombreuses cultures pré-industrielles, les grands-parents sont plutôt les détenteurs de l’autorité ; aujourd’hui, les grands-parents ont souvent une relation intense et de camaraderie avec leurs petits-enfants. A relever toutefois que la grand-parentalité est aménagée différemment selon l’âge du grand-père, de la grand-mère et du petit-enfant(23).

Quelques chiffres : l’âge moyen à la naissance du premier petit-enfant est de 50 ans et 6 mois pour les femmes, de 54 ans pour les hommes. Il faut également tenir compte de ce que 43 % de ces grands-parents vivent à moins de 9 km de leurs enfants et petits-enfants. Plus d’un quart des jeunes mères (25,2 %) font garder quotidiennement leur enfant par sa grand-mère. Dans les deux-tiers des cas, ce sont les grands-mères maternelles qui assument cette charge (selon une enquête du CREDOC de 1997, 27 % des parents considèrent qu’il s’agit là du meilleur mode de garde).

Les grands-parents constituent pour les petits-enfants, surtout les plus jeunes et d’une manière plus ou moins consciente, une autorité majuscule, à la fois incontestable et mystérieuse car émanant des profondeurs du temps. Ils ont de l’ascendant du seul fait qu’ils sont les ascendants et qu’ils s’inscrivent, de façon « supérieure » aux parents, dans la lignée. Pour l’adolescent, cette autorité est sensée plus que celle des parents être compréhensive.

Les grands-parents transmettent les souvenirs, qui sont les appartenances, les ancrages, ce qui est porteur d’une histoire. On les soupçonne d’idéaliser le passé, mais plutôt ils le solidifient. La mémoire familiale, portée par les grands parents joue un rôle fondamental dans la construction des identités par la distinction des générations et par la manière dont chacun puise dans le fond commun et se l’approprie. Elle est un cadre important dans la construction des identités sociales, dans la mesure où elle est le bien commun d’un groupe dont elle assure la cohésion et où elle repose sur l’humus du milieu et du pays d’origine (24).

D’autre part, en cotoyant plus longtemps qu’auparavant ses aïeux, l’enfant comprend qu’il grandira, qu’il vieillira et que c’est là le cours normal de l’existence, cela contribuera peut-être à réhabiliter la vieillesse et la mort, deux sujets tabous aujourd’hui. Les grands-parents permettent aussi aux tout-petits de « faire leur gammes » dans leur apprentissage de la relation aux adultes. Très tôt, l’enfant sait intuitivement que la relation à ses parents et à ses grands-parents n’est pas la même : aux parents, la responsabilité éducative, aux grands-parents, la complicité. Les grands-parents facilitent aussi l’apprentissage de notions essentielles comme celle du temps long (25).

Le rôle de grands-parents est donc un rôle d’éducation particulier comprenant la transmission de la mémoire, un échange de tendresse et de compréhension. La relation grands-parents—petits-enfants permet aussi aux enfants d’appréhender certains concepts de vie. Hors du noyau familial, quelles sont les solutions pour redonner un rôle aux personnes âgées?

C. Développement de l’animation sociale chez les personnes âgées dépendantes

Dans les années 60, des clubs d’activités existaient : clubs de mono-activité (cartes, boules, tricot, goûter…). Dans les années 70, les choix apparaissent et se développent : gymnastique douce, art floral, art graphique et voyages ainsi que tourisme. Dans les années 75, un constat est fait dans les hospices « les vieux s’ennuient ». On propose alors des activités occupationnelles, des occupations thérapeutiques et des thérapies occupationnelles réalisées par des agents hospitaliers et des aides-soignants. Ces tentatives, même si elles nous semblent aujourd’hui d’une autre époque étaient les premières à répondre à un manque réel et constaté. Dès 1984, les premiers fonctionnements par projets se créent dans quelques hopitaux gériatriques. En 1988, on parle déjà de projet d’animation, de projet de vie en complément au projet de soin. Aujourd’hui, les trois formes d’animation cohabitent et le fonctionnement par projet progresse.

Cependant, la remarque la plus fréquente des anciens dans les institutions gériatriques reste « à quoi je sers ? », « quelle est ma place, quel est mon rôle ». L’animation sociale se doit donc en priorité de réactiver les rôles sociaux.

· La création d’un rôle nouveau : plus rare quand il s’agit de personnes diminuées, malades ou très âgées, mais pas inexistant. Les expériences d’expression plastique menées dans plusieurs établissements touchent en général de 3 à 5 % des résidents, avec des résultats très variables. Malgré tout, il ne faut pas tomber dans la démagogie : un mode d’expression ne transformera pas tous les vieillards malades en artistes créatifs.

· Exercer ou réexercer un rôle traditionnel. Cette tendance très forte est et elle est efficace dans de nombreuses situations, par exemple : continuer à remplir son rôle citoyen et participer à la vie de la cité est tout à fait possible malgré les handicaps physiques. Cette vision amène à recenser les rôles traditionnels des anciens et à leur donner les moyens de s’exercer : transmettre l’expérience, son savoir, son métier, raconter des histoires fantastiques, faire découvrir des dimensions oubliées, donner le sens de l’histoire et de la vie, autant de rôles sociaux inhérents à la condition de grand-parents et qui comporte un avantage par rapport aux activités occupationnelles. Elles recherchent le sens (26), les valeurs de la personne, pas l’oubli.

En quoi l’intergénération peut-elle redonner un rôle social traditionnel à la personne âgée, se rapprochant des rôles des grands-parents ?

IV. L’INTERGÉNÉRATION

A. Quelques exemples

Rapprocher les deux bouts de la vie n’est pas une idée nouvelle. Les exemples se multiplient.

L’association « P.É.A.N. » gère des maisons de retraites dans la région du Rhône et y prévoit toujours un espace pour les enfants. C’était aussi son intention en s’implantant rue de la Santé, dans le 13ème arrondissement à Paris. C’est l’association « Bout’choux » qui s’est portée candidate pour occuper l’espace réservé aux jeunes enfants dans les locaux de la maison de retraite. L’idée est de multiplier les rencontres entre générations : deux échanges hebdomadaires sont prévus autour d’ateliers contes et écoute musicale mais aussi cuisine et jardinage. Même les personnes désorientées participent à certaines activités. C’est Laurence CABIREL qui est l’initiatrice de ce projet ; elle a commencé à penser et à vivre en intergénération depuis 1988 à Lyon. Elle y a aussi travaillé avec des lycéens et une association de motards.

Les pratiques d’intergénération se mettent en place quelquefois pour des raisons simples de proximité et de bon sens, comme c’est le cas à la crèche Pomme de Pin d’Antony (92), où la surprise d’entendre des chansons provenant d’un bâtiment contigu a vite fait prendre rendez-vous avec les voisins. 1er et 3ème âge se côtoient maintenant régulièrement pour des chansons, des histoires et des petits moments de joie (27).

En 2002, la ville de Paris a recensé 14 établissements de petite enfance pratiquant régulièrement des activités intergénérationnelles. Les enfants restent encadrés par des professionnels qu’ils connaissent mais des personnes âgées rejoignent le groupe pour des activités déterminées.

L’association américaine « Les petits Frères-Amis des Personnes âgées » amène depuis 3 ans des centenaires dans des classes de maternelles au moment où les enfants viennent d’apprendre à compter jusqu’à 100. Durant une heure et avec une vraie touche d’humour, les personnes âgées partagent avec les enfants leur expérience de vie.

A l’origine de ce projet, Christine BERTRAND explique que « C’est important pour la société que les enfants comprennent la valeur de leurs aînés, combien de sagesse et de bonne conversation même les plus âgés peuvent apporter ».

La rencontre dans la classe est préparée par une discussion sur le fait que la personne âgée pourrait ne pas entendre ou voir ou marcher et comment respecter cela. Les activités que peuvent pratiquer les personnes âgées sont également évoquées (28).

Dans le Pas de Calais, l’association « AC’TOIT 2 GÉNÉRATIONS » propose à des étudiants un hébergement gratuit chez des personnes âgées, en contrepartie de quelques services.

C’est en lisant dans la presse l’histoire d’une association espagnole proposant à des anciens de loger gratuitement des étudiants que Nathalie GHEERBRANT a eu l’idée d’adapter et de développer cette formule originale à la France, avec en fond de toile le souvenir traumatisant de la crise sanitaire liée à la canicule 2003.

Le phénomène d’isolement des personnes âgées déjà constaté, l’association s’intéresse en plus au problème du logement étudiant, criant dans la région, malgré l’augmentation de leur durée d’étude.

Afin de partager un logement, la personne âgée mentionne les caractéristiques de l’habitation (surface, nombre de pièces) et les services demandés : cuisiner, conduire, sortir les poubelles, s’occuper d’un animal domestique, alors que l’étudiant précise les services qu’il souhaite proposer.

Le premier binôme s’est constitué : il est formé de Clément, 18 ans et Colette, 86 ans. La présence de Clément rassure Colette qui vivait dans la peur de tomber. En échange, l’étudiant s’est engagé à lui rendre des petits services comme faire quelques courses, sortir les poubelles ou simplement, discuter avec elle. De son côté, il bénéficie d’une chambre d’étudiant en plein cœur de la ville. Ses seuls frais : la participation aux charges et la cotisation de l’association (29).

B. OBJECTIFS ET INTERETS

Dans la notion de solidarité, il y a une notion d’échange. Dans son essai sur le don, MAUSS définit le lien du don et de l’échange « par la triple obligation de donner, de recevoir et de rendre ». Il montre ainsi que par cette triple obligation, il se noue des rapports étroits entre donateurs et bénéficiaires et l’importance des relations de réciprocité, de don et de contre-don dans le maintien du lien social. Dans cette dynamique, l’intergénération est intimement liée à la solidarité. Le sens de l’intergénération a été modifié : elle est sortie des seules limites familiales pour s’exercer auprès de ceux qui en ont besoin (30).

L’intergénération regroupe de nombreuses réalisations, des plus simples aux plus élaborées. Elles n’ont pas toutes le même intérêt : certaines se limitent au placement dans le même lieu de deux groupes d’âges différents, ou à des activités d’enfants censées intéresser tout le monde, d’autres ne prennent en compte que la dimension affective. Beaucoup ne voient l’intérêt que de l’une des catégories d’âges, quelques uns expérimentent dans des échanges dont la pédagogie est active, riche et complexe. Dans des groupes qui comportent des personnes aux deux extrêmes de la vie, la question centrale est celle du développement des rôles des uns par rapport aux autres : le rôle de l’enfant par rapport à l’ancien, le rôle de l’ancien par rapport à l’enfant.

Si on prend l’exemple du rôle de conteur, même dans le cas des vieillards malades, qui ne se souviennent plus, oublient l’histoire, il peut se cacher d’autres rôles : rassurer l’enfant, l’encourager, l’aider à se confronter au monde magique (l’enfant en a besoin pour se construire), lui donner la main pour l’amener à l’autonomie. Il y a donc derrière les rôles de surface, des rôles plus profonds. Le rôle de l’enfant évolue alors : il aide celui qui aide : les échanges s’opèrent en renforçant le rôle des uns par rapport aux autres.

D’autre part, c’est le cas, par exemple, du village intergénération de Villevèque (49) près d’Angers. L’organisation de différents événements : rencontres avec les familles, visites du village, bal costumé (dans un établissement du 17ème arrondissement de Paris) permet d’ouvrir les structures vers le monde extérieur et facilite la mixité des âges. Ainsi, dans le cas de la maison de retraite du 17ème, l’intégration des personnes âgées à la vie des familles du quartier a permis de valoriser leur rôle, la présence de jeunes enfants et de leurs parents stimule les anciens les plus dépendants et amène de la vie au sein de l’établissement (31).

Les échanges sont également une richesse pour les jeunes enfants et leurs parents. Ces derniers bénéficient de la transmission du savoir des personnes âgées et les enfants, du patrimoine d’humanité et de la mémoire collective que chaque personne âgée porte en elle. Les échanges intergénérationnels contibuent à une vision positive de la vieillesse et permettent à des générations dont les repères sont parfois différents de mieux se comprendre.

C. Difficultés de l’intergénération

Le travail avec les personnes très malades, très dépendantes, amènent à considérer que le simple exercice des rôles traditionnels est parfois impossible, soit à cause des incapacités des personnes âgées, soit parce que ces rôles ne sont plus perçus comme étant opérationnels : est-il pertinent de transmettre son expérience quand il s’agit d’un savoir dépassé par les évolutions et d’un métier qui n’existe plus ? La grand-mère qui apprend à tricoter à son arrière-petite-fille, parfois plus intéressée par le vêtement de marque, est-ce toujours un schéma accepté par l’une et par l’autre ? L’évolution démographique et l’accélération de la modification des normes, des habitudes, des mœurs, nous obligent à constater que certains rôles ne sont plus perçus et donc ne fonctionnent plus.

Il est difficile de respecter les rôles des deux générations : par exemple, des personnes âgées hospitalisées ont rencontré des enfants d’une crèche au moment de Pâques et axent leur rencontre sur les œufs de Pâques. Certains adultes bien intentionnés vont cacher les œufs, poussent vieux et enfants à chercher ensemble, brouillent les rôles et arrivent au contraire de l’effet recherché. Tout le monde est infantilisé, y compris les anciens. La même réalisation peut s’envisager avec une vision différente, l’ancien peut cacher l’œuf ou conseiller une cachette puis aider l’enfant à chercher, l’encourager, l’inciter, partager la découverte : ainsi, on évitera l’infantilisation et on aidera chacun à tenir son rôle par rapport aux autres.

« Les cafés des âges », association qui discute autour des problèmes rencontrés par les personnes âges, a constaté que les générations mises en contact « s’observent et se tiennent à distance ». Timidité, appréhension, méconnaissance sont évoquées plus qu’une volonté délibérée de mépris. Un coup de pouce a été proposé pour éviter que chacun s’évite soigneusement, il s’agirait de préconiser le renforcement de professionnels, tels que des animateurs socio-culturels ou de nouvelles professions comme médiateurs ou accompagnateurs. On en voit un exemple dans le Village d’Arreau, dans les Hautes-Pyrénées où l’association « Airel » a décidé de faire de jardins jusqu’ici laissés à l’abandon, un lieu de rencontre entre personnes âgées et jeunes. Rachel, l’animatrice, rapporte à propos des échanges : « Au début, ils ne communiquaient pas beaucoup. Il a fallu que je fasse les présentations. Quand, par exemple, les enfants cherchent à connaître le nom d’un insecte, ils viennent d’abord me trouver. Et je leur conseille plutôt de s’adresser à M. LOPEZ (un des retraités). C’est long à mettre en place, çà se fera progressivement. Je crois que les enfants ont besoin d’être rassurés » (32).

Enfin, l’intergénération peut avoir des effets pervers car il existe une ambiguïté dans le discours intergénérationnel qui, contre son gré, peut contribuer à instituer les « générations », avec les clichés stigmatisants qu’ils véhiculent. Ces relations formellement instituées, voire décrétées, ne risquent-elles pas d’entretenir une construction sociale de certaines populations comme une population à part ? Il importe de s’interroger sur les effets des politiques publiques tentées de dicter des normes de vie à des groupes sociaux, notamment en séparant leur intervention par classe d’âge. C’est pour cette raison que certains « cafés des âges » au lieu d’employer le terme « relation intergénérationnelle » utilisent l’expression « relation interpersonnelle » (33).


BIBLIOGRAPHIE

(1) http://perso.wanadoo.fr/albertdevaud/perspect.htm

(2) Robert de la langue française

(3) Je ne deviens pas vieux, je me patine, Lucien MIAS: http://membreslycos.fr/papidoc/54°vieillisvieillesse.html

(4) Stigmate, les usages sociaux des handicaps, Erving GOFFMAN, éd. De Minuit

(5) On the mechanics of economic development Robert LUCAS :, journal of Monetary economics, vol 22, page 3-42

(6) Rapport annuel MEDIPEP :

http://www.medipep.com/comm_fi/rapport_annuel_2000.pdf, page 9

(7) Les services de proximité, un enjeu de société, Jean-Louis LAVILLE (juin-juillet 98) : (Revue mensuelle de débats et d’idées de la CFDT, n°11

(8) Guide des politiques et actions sociales Valérie LÖCHEN, éd. Dunod, p. 375-382

(9) Vivre à corps perdu, Robert MURPHY : éd. Terre humaine, Plon

(10) L’exclusion existe-t-elle ?, Robert CASTEL dans CNDP lycée/la table ronde pédagogique (http://www.cndp.fr/TR_exclusion/rep_cast.html)

(11) Que signifie la solitude pour les personnes âgées, M.A. DELISTE : dans Revue Canadienne du vieillissement, p 339-357

(12) Manual of the loneliness Scale, J et T Jong-Vierveld, Université d’Amsterdam

(13) Les solitudes : Marie-Noëlle SCHURMANS, éd. PUF, p. 126-209

(14) Caring for Older People : Loneliness : Anne FORBES, dans British Medical Journal 313, n° 7.053, p.352-354

(15) La dépendance, Albert MEMMI, éd. Gallimard

(16) Les règles de la méthode sociologique, Emile DURKHEIM, éd. Quadrige, Presses Universitaires

(17) Développer les liens sociaux des personnes âgées : la solution du voisin, Dominique ARGOUD, éd. DUNOD

(18) Effet physique chez l’individu de l’idée de mort suggérée par la collectivité, dans le journal de psychologie normale et pathologique, 1926

(19) Suicide dans le grand âge. Les chaos du vieillissement : Jean-Pierre LE GUEN, dans Pratiques gérontologiques, p 67

(20) Politis, Jacques MAZIER

(21) Organisation Mondiale de la santé :

http://who.int/archives/whday/fr/pages99/jms99_dg.html

(22) La révolte des vieilles, Renate GOSSARD, Jacques JUGUENIN, éd. L’Harmattan

(23) www.socialinfos.ch/inag/glossaire.htm, Jean-Pierre FRAGRIERE, Françoise HOPFLINGER, Valérie HUGENTOBELER (INAG)

(24) L’accompagnement des parents, Bruno RIBES, éd. DUNOD, p. 103-113

(25) Grands-parents et petits-enfants : l’amour en héritage : Evelyne MONTIGNY, Le Pèlerin, n°6.315

(26) Extrait d’un article paru dans Gérontologie et société, N° spécial sur l’animation : http://www.vivre100ans.fr/pro/services/rencontres_initiatives_070303.htm

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